les droits fonciers comme moyen de sortir de la crise climatique
26 mai 2022. Le quatrième et dernier jour du Forum foncier mondial 2022, par une décision unanime, les membres de l'ILC ont adopté la Déclaration de la mer Morte.
Déclaration de la mer Morte.
Nous, membres de la Coalition internationale pour l'accès à la terre (ILC), nous sommes réunis à la Mer Morte, en Jordanie, du 23 au 26 mai 2022 pour le Forum Foncier Mondial (FFM). Nous avons été généreusement accueillis par le gouvernement jordanien, le ministère de l'agriculture et SEEDS, en partenariat avec l'Union Européenne (UE), et sous le haut patronage de Sa Majesté le roi Abdullah II Ibn al Hussein. Nous représentons plus de 301 organisations provenant de 81 pays.
Adopté lors du Forum Foncier Mondial le 26 mai 2022
Préambule
Nous nous sommes réunis pour la première fois physiquement depuis que la pandémie de COVID 19 a ravagé nos pays et nos communautés, causant de graves menaces sur les droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales et entraînant des accaparements de terres et des expulsions. La pandémie a mis en évidence notre relation négative avec l'environnement ce qui a entraîné la propagation de zoonoses. Pendant la pandémie, nous avons également été témoins de la solidarité et de la résilience des personnes travaillant dans l'agriculture familiale et à petite échelle, ayant nourri les communautés locales tout au long de la pandémie.
Embrassant la diversité au sein de notre mouvement, nous sommes animés par notre mission de veiller à ce que les personnes retrouvent leur pouvoir, tout en travaillant pour une gouvernance foncière centrée sur les personnes. Au cœur de notre coalition se trouvent des organisations de base représentant les personnes qui vivent sur et de la terre: les femmes, les jeunes, les peuples autochtones, les pasteurs, les agriculteurs familiaux et les paysans, les habitants des forêts, les chasseurs-cueilleurs, les pêcheurs, les Afro-descendants, les citadins, les Dalits, les communautés locales et d'autres groupes, y compris les réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays ou en raison du climat[i] .
Une décennie après l'adoption des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts (VGGT), nous réaffirmons leur importance dans la définition d'un consensus mondial sur la bonne gouvernance foncière. Cependant, nous constatons l’existence d’un écart flagrant et permanent entre les aspirations et la réalité, traduit par les faits nous indiquant que la plupart des pays ne parviennent pas à mettre en œuvre les dispositions de ces directives. Il en va de même pour de nombreux autres cadres internationaux liés à la gouvernance foncière. Nous exhortons les États ayant endossés les VGGT et les autres acteurs concernés à respecter et à mettre en œuvre leurs dispositions, indépendamment des pandémies et autres circonstances imprévues.
Nous condamnons l'augmentation des assassinats, de la criminalisation, du harcèlement et de la discrimination des défenseurs de la terre et de l'environnement (LED) depuis notre rencontre à Bandung en 2018, ainsi que la violence permanente des conflits fonciers, des accaparements de terres, des expulsions et des déplacements forcés.
Les droits fonciers font partie des droits de l'homme. Des droits fonciers équitables sont la clé d'un développement inclusif, de sociétés florissantes et saines, et d'une planète durable. Ils sont au cœur du défi le plus urgent de notre époque : éviter un effondrement climatique catastrophique. Les droits fonciers équitables sont le fondement de sociétés pacifiques et démocratiques, de systèmes alimentaires locaux durables et résilients pour les producteurs agricoles de toutes catégories, et de la lutte contre les inégalités croissantes - en particulier les inégalités entre les sexes. À l'heure actuelle, une grande partie des terres du monde est contrôlée, gérée et utilisée par un petit nombre de personnes d'une manière qui n'est pas au service de la grande majorité des gens, ni de la planète. Cette situation est injuste et insoutenable.
Le rôle central que des droits fonciers sécurisés peuvent jouer dans la résolution des crises du climat et de la biodiversité a longtemps été ignoré malgré le lien entre l'inégalité foncière croissante et le changement climatique ainsi que son impact sur les droits fonciers et la sécurité alimentaire. Cependant, nous prenons note des mesures positives prises lors de la COP 15 de l’UNCCD sur le renforcement de la participation des OSC aux réunions et aux processus de la Convention et lors de la COP26, notamment l'engagement de financer et de soutenir le rôle joué par les peuples autochtones et les communautés locales dans la gestion durable des terres et des ressources naturelles, qui est la clé des mesures d'atténuation. Nous attendons également que les négociations en cours sur le Cadre mondial pour la biodiversité reconnaissent les droits des peuples autochtones et des communautés locales.
Articles
Notre lutte contre la crise climatique:
Article 1 : Les droits fonciers sont un moyen critique pour contrer la crise climatique. La lutte contre cette crise est une motivation centrale de notre travail pour une gouvernance des terres centrée sur les personnes. Nous sommes conscients de l'ampleur de notre tâche, et nous nous engageons à changer de toute urgence les systèmes qui font des ravages sur notre planète et ses habitants.
Article 2 : Dans cet esprit, nous nous engageons à travailler ensemble pour faire en sorte que les femmes, les hommes, les communautés et les jeunes de tous horizons qui vivent sur la terre retrouvent leur pouvoir. Nous respectons le rôle de gardien qu'ils jouent au nom de l'humanité tout entière, et nous reconnaissons leurs droits de décider, de bénéficier et de gérer leurs terres et leurs ressources naturelles. Nous respectons le rôle crucial et les précieuses contributions des peuples autochtones, leur vision cosmique, leurs connaissances et leurs modes de vie dans la lutte contre la crise climatique, la promotion de la conservation de la biodiversité et la gestion des forêts. Dans cette optique, nous reconnaissons le droit des Peuples Autochtones au Consentement Libre, Préalable et Informé (CLIP) et nous nous engageons à accélérer la participation pleine, effective et significative des Peuples Autochtones aux activités et processus de l'ILC à tous les niveaux.
Article 3 : À cette fin, nous faciliterons les coalitions nationales pour la terre et les initiatives régionales pour rassembler les alliés afin de soutenir les organisations de base qui ouvrent la voie aux initiatives locales, aux politiques inclusives et fondées sur des preuves, aux données générées par les personnes pour la redevabilité, la planification et l'allocation des ressources pour un développement centré sur les personnes.
Article 4 : Nous amplifierons la voix et l'action des organisations de base et construirons un engagement politique au niveau mondial et régional afin de garantir les droits fonciers et contrer d'autres défis interconnectés comme la réalisation des ODD et les effets de la pandémie du COVID 19. Nous reconnaissons la Décennie des Nations Unies pour l'agriculture familiale et la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes comme des outils de transformation, ainsi que le rôle important des agriculteurs familiaux dans la transformation des systèmes alimentaires pour qu'ils soient plus durables, justes et résilients, contribuant à atténuer les effets de la crise climatique. Nous ferons pression pour la mise en œuvre effective de ces instruments ainsi que d'autres, y compris, mais sans se limiter a, l'UNDRIP et l'UNDROP aux niveaux national, régional et mondial, dans un cadre fondé sur les droits.
Article 5 : Reconnaissant que la crise climatique est principalement causée par l'agriculture industrielle à grande échelle pour les carburants, les industries extractives et les méga-projets énergétiques, nous réfutons les fausses solutions fragmentaires et non-consultatives à la crise climatique sous le couvert de solutions basées sur la nature ou d'engagements nets à zéro, qui ne contribuent pas à la réduction des émissions mais contribuent davantage à l'accaparement des terres. Le CLIP devrait faire partie intégrante de toutes les mesures d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.
Article 6 : Nous incitons vivement tous les États partis et les autres parties prenantes s'engageant dans la prochaine COP 27 de reconnaître en particulier l'importance de la sécurité des droits fonciers des femmes, des hommes, des communautés et des jeunes dans tous les contextes, dans la mise en œuvre des mesures d'atténuation et d'adaptation au changement climatique ; de reconnaître les systèmes de gestion communautaire des terres et des ressources naturelles comme un outil de gestion durable et équitable des terres ; de reconnaître la nécessité d'amener les personnes les plus touchées par la crise climatique à la table des négociations ; de prendre l'initiative de concevoir un mécanisme décentralisé, transparent et responsable pour le déboursement des fonds engagés lors de la COP 26 vers les projets demandés par les plus touchés, afin que ces fonds puissent atteindre les communautés vulnérables ; de reconnaître un espace dédié aux jeunes lors de la COP 27 et de prendre des décisions pour investir dans des actions climatiques basées sur la technologie proposés par les jeunes ; et de se prononcer sur le rôle joué par les défenseurs de la terre et de l'environnement pour inverser la crise climatique.
Nous attendons le même engagement pour tous les autres processus mondiaux pertinents.
Nous accueillons chaleureusement l'invitation de la Présidence de la COP 27 faite lors de la discussion ministérielle du FFM MENA à l'ILC, au FIDA, à la COP 26 du Royaume-Uni et à toutes les délégations représentées afin de s’assurer que les régimes fonciers et les systèmes alimentaires durables soient inclus parmi les priorités qui seront discutées à Sharm-El-Cheikh lors de la COP 27 en novembre 2022.
Article 7 : Nous reconnaissons la déclaration annonçant que l'année 2026 sera l'année internationale des parcours et des pasteurs (AIPP). Nous nous engageons à sensibiliser l'opinion publique sur cette année et à utiliser cet élan pour accélérer notre travail sur les droits fonciers des pasteurs afin de préserver leur bien-être, leur culture et leur dignité.
Notre engagement envers les jeunes
Article 8 : Nous accueillons le premier Forum Foncier Mondial des Jeunes organise par la Coalition Internationale pour l’accès a la Terre (ILC). Nous approuvons leur déclaration, ''Définir un avenir avec des droits fonciers sûrs pour les jeunes'', adoptée lors du Forum Foncier Mondial des Jeunes le 22 Mai 2022, mettant l'accent sur leur représentation au sein du Conseil de l’ILC.
Droits fonciers des femmes et justice de genre
Article 9 : Nos aspirations transformatrices en tant que Coalition s'appliquent avant tout à notre engagement à faire des droits fonciers des femmes une réalité dans le monde entier. Nous réitérons notre engagement à continuer à travailler pour la justice de genre à travers toutes nos actions et programmes. Nos efforts pour contribuer activement à une approche transformatrice de genre dans le secteur foncier revêt une importance particulière pour nos membres et nos partenaires, notamment dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA).
ILC et la région MENA
Article 10 : Nous exprimons notre profonde gratitude au gouvernement et à nos membres en Jordanie d’avoir accueilli le premier Forum Foncier Mondial au Moyen-Orient, une région où la pression foncière est immense. Nous constatons de nombreux défis dans la région : l'inégalité des revenus la plus élevée au monde, la dégradation aiguë des terres et la désertification, les conflits, le chômage des jeunes et l'augmentation des migrations, des déplacements internes et de la marginalisation. Ces défis sont exacerbés par la crise climatique. Nous pensons que les droits fonciers sont fondamentaux pour relever tous ces défis, et que tout projet ou changement d'utilisation des terres doit respecter les principes du CLIP pour éviter tout préjudice aux communautés locales. Cela inclut, entre autres, la création de réserves naturelles sur des terres coutumières. Nous admirons l'esprit de solidarité qui anime notre hôte, la Jordanie, en tant garant de paix et de stabilité dans la région, un pays dont la population est composée de la plus grande proportion de réfugiés provenant du monde entier.
Article 11 : Nous félicitons la Jordanie pour le lancement de la première Coalition nationale pour la terre dans la région. Nous exprimons notre solidarité en tant que ILC aux nombreuses organisations qui travaillent dans la région pour la protection des libertés civiques, notamment celles des défenseurs des droits de l'homme confrontés à la violence et à la persécution pour leur travail courageux.
Article 12 : Nous étendons particulièrement notre soutien aux luttes de nos membres et du peuple des territoires occupés de la Palestine pour la justice, la paix, la dignité et la protection contre la dépossession, l'annexion et la destruction écologique résultant de l'occupation. Nous offrons notre plateforme comme un espace pour connecter, mobiliser et influencer à travers la région pour des sociétés plus pacifiques, équitables, justes et durables, en particulier pour le peuple de Palestine.
[i] Ci-après dénommés les femmes, les hommes, les communautés et les jeunes dans tous les contextes tout au long de la déclaration.