La terre de mon mari
"Chez nous, dès que le mari s'en va, tu n'es plus un être vivant, tu n'as plus droit à rien."
Lorsque Justine Epse Bel a perdu son mari, elle a également perdu ses terres.
En tant que femme, elle n'avait aucun droit d'héritage sur la terre non enregistrée qu'elle appelait sa maison. Comme elle, de nombreuses autres femmes - célibataires ou veuves - du village de Log-dikit au Cameroun.
La question foncière est cruciale au Cameroun, car la moitié de la population vit en zone rurale et dépend fortement de la terre pour sa subsistance et ses moyens de subsistance. Cependant, la plupart des terres sont régies par des droits coutumiers, vestiges du passé colonial du pays. En vertu de ces règles, les femmes ont peu ou pas de voix lorsqu'il s'agit de droits de propriété et de droits fonciers.
Lorsqu'un homme meurt, sa femme est souvent mise à l'écart car les hommes les plus âgés de la famille divisent les biens et les partagent entre eux. Après une vie consacrée à avoir et à élever des enfants, à nourrir la famille et à travailler la terre, les femmes se retrouvent souvent sans rien.
"Je suis mariée dans ce village depuis 1972, et après la mort de mon mari, j'ai commencé à avoir des difficultés, notamment pour la terre. Vous travaillez avec votre mari pendant toute une vie, mais dès qu'il est parti, c'est autre chose: les veuves souffrent beaucoup".
Les jeunes connaissent un sort similaire. Alors qu'ils sont souvent ceux qui contribuent le plus activement à la survie et au bien-être de leur famille et de leur communauté, les jeunes n'ont aucun droit ni aucune voix lorsqu'il s'agit de posséder des terres non enregistrées. Sans surprise, les conflits sont courants et les litiges fonciers peuvent durer des années, érodant la communauté de l'intérieur.
En 2019, Ngoken Iris Flore, leader du NES, a vu l'opportunité de changer les choses en organisant des ateliers pour éduquer les communautés sur la gestion équitable des terres coutumières.
"J'ai choisi la communauté de Log-dikit en raison de cas spécifiques d'inégalité foncière concernant les veuves et les filles célibataires.Il y a aussi des cas de jeunes qui sont revenus au village mais qui ne peuvent pas se développer car ils n'ont pas accès à la terre."
Après plusieurs consultations communautaires, en mars 2020, le NES Cameroun a élaboré un code de conduite sur la gestion équitable des terres coutumières, axé sur les jeunes et les femmes.
Ce code vise à faciliter les conflits fonciers, en renforçant le droit des femmes et des jeunes à posséder des terres et à y accéder, et en assurant une médiation en cas de conflit.
"Pour obtenir un changement de mentalité, il fallait faire comprendre que les femmes et les jeunes sont des êtres humains et que la justice est la base de la gestion des terres. Les hommes participant aux ateliers ont dû comprendre que les opprimés sont des membres de leur propre famille et qu'ils jouent un rôle central dans la génération de revenus".
Ndjeyick Pouhe Joseph, notable du canton où se trouve la communauté de Log-dikit, a participé au premier atelier organisé par Iris et a été tellement impressionné par le travail qu'elle accomplissait qu'il a décidé de le reproduire dans les autres communautés du canton.
Depuis lors, le code a été distribué à plus de 50 autorités traditionnelles, touchant ainsi plus de 300 membres de la communauté.
Le fait de disposer d'un code de conduite a permis de résoudre de nombreux litiges fonciers, donnant aux femmes et aux jeunes un outil et une voix pour s'assurer que leurs droits fonciers sont respectés.
"La différence, c'est qu'aujourd'hui, lorsque nous avons des conflits fonciers dans le village de Log-dikit et aussi dans les cinquante et un autres villages du canton, nous essayons de ramener les gens au niveau de l'équité, au niveau des connaissances que nous avons."
Chaque communauté du canton a deux rois, un traditionnel appelé Mbombock et un plus institutionnel, qui travaillent ensemble pour assurer le bien-être de toute la communauté.
Leur participation au processus d'élaboration et de mise en œuvre du code de conduite a été essentielle et leur soutien aux activités de formation a permis aux membres de la communauté, en particulier aux femmes, de se sentir habilités à défendre leurs droits.
"La formation que nous avons reçue est utile. Il faut d'abord avoir un cœur fort et le courage de changer les choses. Nos dirigeants nous ont donné des conseils, ils nous ont aidés, et cela nous a donné le courage de faire le travail."
Le processus n'a cependant pas été sans difficultés, et les Rois ont dû jouer les médiateurs entre l'ancienne et la nouvelle génération. Pout Jean Climaque, roi institutionnel de la communauté, se souvient que l'aspect le plus difficile a été de convaincre les membres les plus âgés de la communauté que la façon dont ils avaient l'habitude de faire les choses ne pouvait plus fonctionner.
"Les femmes et les hommes, les jeunes, ont droit à la terre, nous allons continuer à travailler, nous devons continuer à nous former pour un changement de mentalité."
Mais si le changement met du temps à s'installer, la mise en place du code de conduite marque sans doute un tournant.
C'est certainement le cas pour Justine, dont la terre peut enfin être considérée comme la sienne.
Découvrez comment l'ILC améliore la gouvernance foncière centrée sur les populations au Cameroun dans un résumé de nos contributions.
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©ILC/Jason Taylor